30ème dimanche du temps ordinaire, année B

Jr 31.7-9
Ps 125(126).1-6
Hé 5.1-6
Mc 10.46b-52

Au moment de réfléchir sur cet évangile si riche, il me vient à l’esprit tellement de situations et des idées... il y a tant d’aveuglements... je n’arrive pas à me concentrer sur la figure de Jésus qui nous dit une parole si consolatrice : que veux-tu que je fasse pour toi ? ni sur la foule partagée entre ceux qui interpellent vivement pour que nous nous taisions et ceux qui nous animent en disant : lève-toi, il t’appelle, ni sur ce qui se passe chaque jour au bord de la route… un évangile si riche, chacun, j’en suis sûr, a entendu une parole pour lui.

Alors comme un éclair je me suis demandé, suis-je l’aveugle ?

Je me dis : oui, je suis aveugle à la souffrance des autres, de ceux qui sont loin car parfois je n’arrive pas à comprendre leur situation, ni de ceux qui sont proches car leur souffrance me fait mal et alors je tâche de m’enfouir : que le malheur ne me touche pas !

Oui, je suis aveugle à l’amour que les autres me donnent, souvent je n’aperçois pas dans les yeux qui me regardent l’amour donné, ni ne devine dans des gestes de bienveillance le plus de dévouement pour moi, ni ne constate en ce que je pense dû, l’effort de l’autre.

Oui, je suis aveugle à l’avenir que je procure, oublié à mesure que les années passent, que les problèmes globaux me dépassent, que le déséquilibre s’instaure car les repères de mon monde se sont évanouis.

Oui, je suis aveugle à mes fragilités. Il y a tant de temps qu’elles vivent avec moi que j’ai cessé de les considérer comme importantes.

Oui, je suis aveugle aux bonnes choses que les autres font. L’admiration pour ce qui est petit mais authentique me semble moins intéressante qu’auparavant. L’élan de solidarité de beaucoup de gens me laisse indifférent. Je ne sais pas voir le grain de blé ni les gestes de générosité de l’enfant.

Oui, je pourrais continuer assis au bord de la route des hommes sans voir le flot des jeunes qui sortent du lycée Berthelot, ni ceux qui font des courses en moto par le parc Descartes, ni les maisons de lits chaudes à l’avenue Jean Jaurès, ni les vendeurs de bricoles à la sortie du métro.

Mais encore un dimanche de plus j’entends que c’est Jésus de Nazareth qui passe.

D’abord, serai-je capable de crier, même si c’est à voix basse, la prière de tous les aveugles : Jésus, fils de David, aie pitié de moi !

Vous le savez comme moi, la pitié a mauvaise presse. Cioran le philosophe nihiliste disait : « la pitié est un luxe bizarre, que seul le plus perfide et le plus féroce des êtres pouvait inventer » et tant d’autres l’ont rayé des conduites fortes, solides, énergiques. Exciter la pitié en proclamant les malheurs dans le métro n’est pas une bonne affaire, qui demande charité aux escaliers d’une église ne reçoit pas le même regard qu’auparavant. Nous vivons dans une société de droits et devoirs et c’est cela ce qui nous habite. Face aux victimes de tout terrorisme notre société, nous-mêmes sommes plus attentifs aux peurs déclenchées qu’à la pitié pour les morts et leurs familles.

Ce Jésus qui me regarde ainsi, tel que je suis, ne me soumet pas à une interrogation, ni ne me fait la leçon. Il me dit simplement : que veux-tu que je fasse pour toi ?

Serais-je capable de donner la réponse essentielle ? Peut-être suis-je tellement éparpillé que je suis incapable d’aller à mon besoin essentiel. Pourtant je suis capable de demander pendant des heures des choses qui restent à la périphérie de ma vie ou de la vie de ceux que j’aime. Oui, en cette société où l’on exige de nous d’avoir presque tout pour être reconnus, je peux passer mon temps, même ma vie, d’une chose à l’autre sans pourtant aller jamais à l’essentiel.

Que veux-tu que je fasse pour toi ? –Rabbouni, Maître, fils de David, Jésus…que je voie ! Voilà, ma vie serait autre si je pouvais sortir de mon aveuglement. Voilà, si mes yeux, et mon cœur, en te contemplant, Jésus, te suivaient sur la route !

Encore aujourd’hui tu viens à moi, et même si j’ai fait le geste de sortir de ma maison pour écouter ta parole, si tout à l’heure j’ai fait le geste de me mettre en route pour venir jusqu’à l’autel et prendre le pain de vie, c’est Toi, toi-même, qui m’appelles...

Quel bonheur si un jour je t’entendais me dire : va, ta foi t’a sauvé. Oui, encore il est temps, que je te dise : je crois, Seigneur, mais augmente ma foi. Toi qui as paroles de vie éternelle donne-moi de vivre de la foi si petite soit elle comme la graine de moutarde. Que je voie !


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